Interview d’Alexandre Monnin : Une thèse augmentée avec Philoweb.org,

Le 13 décembre dernier, HackYourPhD a organisé une rencontre avec Alexandre Monnin à La Fonderie, Agence Numérique d’Ile de France. Ce docteur, récemment diplômé nous a présenté Philoweb.org. Sur ce site, Alexandre propose de publier chapitre par chapitre sa thèse en HTML dans un environnement qui permet à chacun de pouvoir la commenter en l’annotant. Découvrez dans cette interview, la genèse de philoweb.org mais aussi une description pointue et technique de ce site : véritable thèse augmentée. 

Peux tu nous expliquer la genèse de philoweb.org et les raisons qui t’ont poussées à mettre en ligne ta thèse en version html?

alexandre monninJ’ai décidé de publier ma thèse en ligne pour plusieurs raisons. D’une part, je mesure l’opportunité que représente le fait de donner un accès le plus vaste possible à son travail. Et ce d’autant plus pour avoir moi-même fait partie de la première fournée de docteurs soumis à la procédure de dépôt électronique des thèses à Paris 1 (qui n’était pas en avance en la matière !). Ma thèse a donc été publiée sur Theses.fr et je l’ai par la suite archivée sur TEL (Thèses En Ligne), la plate-forme d’auto-archivage mise à disposition des chercheurs et qui me permets de mettre à jour ma thèse progressivement (correction de la bibliographie, ajout d’un index, etc.). D’autre part, malgré les possibilités ainsi offertes, tous ces services partagent un point commun, à savoir proposer des PDF en téléchargement.

Compte tenu de mon sujet de thèse, portant sur l’architecture du Web, la publication sous forme de PDF – négation du Web s’il en est ! – apparaissait pour le moins contradictoire avec mon propos.

Certains me l’avaient d’ailleurs fait remarquer sur Twitter. Étant quelque peu au fait des outils destinés à la publication sur le Web (je pense en particulier à “La Poule ou l’oeuf”, que j’avais eu l’occasion de présenter à des étudiants, en compagnie de ses concepteurs, dès 2008), ayant déjà pratiqué une veille ouverte via des outils tels que delicious, Faviki ou Zotero (dès 2006), j’ai décidé, en quelques minutes, de prolonger l’effort d’ouverture des données scientifiques impulsé au niveau de mon université en tirant partie des possibilités de CommentPress. Ceci afin que que ma thèse ne soit plus simplement téléchargeable sur le Web mais bel et bien présente dans le Web. Étant également expert Open Data auprès de la mission Etalab sous la responsabilité du Premier Ministre, je n’avais vraiment pas le choix, ne serait-ce que par simple souci de cohérence !

Quels sont les détails techniques auxquels tu as du réfléchir pour la mise en place d’une telle plateforme?

Techniquement, l’installation est relativement simple car CommentPress se présente comme un simple plugin pour WordPress. Évidemment, cela suppose d’avoir à sa disposition un nom de domaine, un serveur, etc. Ou alors de bénéficier d’un hébergement WordPress clefs en main permettant d’installer ce plugin. Ce n’était malheureusement pas le cas de la plate-forme d’OpenEdition, Hypotheses.org, qui aurait constitué un lieu privilégié pour publier ma thèse et toucher un public de chercheurs (y compris des doctorants) pour entamer des échanges fructueux. On m’a cependant confirmé que la possibilité d’utiliser CommentPress sur Hypotheses était activement envisagée. Pour ma part, étant déjà administrateur d’un site personnel, j’étais relativement familiarisé avec toutes ces exigences. En outre, j’avais un nom de domaine prêt à l’emploi. J’ai donc procédé à l’installation sans connaître la moindre difficulté. Du moins dans l’immédiat. Car après quelques jours, la lenteur extrême du site (un facteur rédhibitoire au vu des contributions attendues) m’a contraint à déplacer mes applications d’un serveur mutualisé vers un serveur plus puissant (avec l’investissement financier que cela suppose !). Au cours de cette procédure de migration, mon hébergeur a cru que je hackais mon propre site et l’a mis hors ligne durant quelques heures en début d’après-midi. Ayant annoncé son lancement un peu plus tôt sur Facebook et Twitter, j’étais piégé. Heureusement, l’interruption n’a duré que quelques heures et tout est rentré dans l’ordre en début de soirée. Ayant réinstallé CommentPress, j’ai dû jouer avec les bases de données pour conserver les commentaires déjà publiés, ce qu’un débutant complet n’aurait sans doute pas été en mesure de faire. Je ne veux donc pas sous-estimer les compétences nécessaires. Toutefois, en tirant parti de mon expérience, j’espère que d’autres éviteront ces situations de crises à l’occasion desquelles s’accusent les compétences exigées, alors qu’en mode de croisière celles-ci sont relativement faibles

the url is the thing flick par psd flick

the url is the thing par psd flickr

A quels autres points importants dois-tu réfléchir désormais dans « ce mode de croisière »?

Publier une thèse suppose de faire des choix éditoriaux auxquels on ne songe pas immédiatement. Pour que la chronologie des chapitres soit respectée, les outils de repérage dans le texte que sont la table des matière, la bibliographie ou l’index (si la thèse en est pourvue), doivent être publiés immédiatement afin de permettre au lecteur d’entamer son parcours dans les meilleures conditions possibles. La chronologie peut alors, à cette seule condition, être respectée mais dans un second temps seulement.
En outre, l’effort initial de publication demande également un peu de temps pour une autre raison. Il faut en effet fixer la granularité de l’encodage (ayant travaillé il y a quelques annéesayant travaillé autrement à l’École des chartes sur l’encodage de corpus en TEI/XML, je retrouvais-là une activité familière). Autrement dit, le degré d’enrichissement de sa thèse au-delà de l’écriture proprement dite. A titre personnel, je me suis concentré sur un encodage en HTML relativement “propre”, avant d’envisager un enrichissement sémantique voire de tirer parti des nouveautés du langage HTML5 pour remplacer des schémas par du balisage. Récemment, j’ai d’ailleurs exporté au moyen du logiciel Zotero les métadonnées de mes références bibliographiques en HTML, que j’ai ensuite publiées sur philoweb.org. De sorte que quiconque visite la page consacrée à ma bibliographie peut, à condition de disposer du plugin Zotero pour Firefox (ou Zotero Standalone sur Chrome), récupérer plus de 700 références en un clin d’oeil. J’en ai d’ailleurs profité pour mettre à jour la bibliographie de ma thèse archivée sur TEL en PDF.

Il y a donc des interactions à envisager entre le travail entrepris sur la version HTML en ligne et le manuscrit archivé en PDF.

 

Quels autres outils utilises-tu en parallèle de philoweb pour faire connaître ta thèse?

Je mets aussi à disposition mes chapitres encodés sur Github afin de proposer un code propre. Ainsi, des améliorations/corrections/suggestions d’enrichissement collaboratives sont à nouveau envisageables. La publication sur Github demande toutefois que l’on adapte l’offre de licences, taillées sur mesure pour le monde du logiciel, afin de mettre la en cohérence avec les spécificités d’un travail de recherche. Autrement dit, dans mon cas, passer de licences pensées pour le logiciel libre aux licences Creative Commons.

Pour le reste, la publication espacée permet de viser des public différents en ciblant les invitations à contribuer en fonction des thèmes développés dans les chapitres. Je m’appuie sur les outils à ma disposition (groupe Facebook, Google +, Twitter, Linkedin, listes de discussions, etc.) pour diffuser l’information et constituer une audience avec laquelle engager la discussion.

Quel futur pour philoweb? 

Avec philoweb j’en profite pour reprendre moi-même ma thèse.  L’annotation et le découpage par chapitre me permettent d’envisager une traduction paragraphe par paragraphe, en vis-à-vis du texte original. La publication d’une thèse, telle quelle, est aujourd’hui rendue difficile par le dépôt électronique. En revanche, rien n’interdit d’enrichir son travail pour de futures publications, dans sa langue originelle ou dans une autre!

Pour en savoir plus :

Présentation d’Alexandre Monnin en anglais sur YouTube
Compte-Rendu de l’atelier HackYourPhD sur Philoweb.org