Open Access : panique à bord ? et si on remettait les points sur les « I »

Cette dernière semaine vous avez peut-être entendu parler de “l’affaire Bohannon” concernant l’Open Access ? Peut être qu’autour de vous, certains ont dit « Tu as vu l’Open Access se prend un sacré coup ». Un petit raz-de-marée dans les médias qui me laisse un petit sourire au coin de la bouche. Petit résumé de l’histoire et de ce que l’on peut en retenir en citations et en proverbes…

J’ai toujours aimé observer la façon dont certains médias s’emparait d’un sujet scientifique et lui enlevait toute sa sève pour n’en garder parfois qu’une coquille creuse. Le sensationnalisme fait vendre me direz vous… Mais quel message est retenu par un public qui n’a pas toutes les clefs en main pour comprendre un sujet ? C’est cette réflexion qui me vient face à la dernière petite vague médiatique concernant l’Open Access.

Petit résumé de l’histoire :

Le 4 octobre, Science Magazine sort un article “Who’s Afraid of Peer Review?” Un certain Ocorrafoo Cobange affilié à l’institution “Wassee Institute of Medicine” se voit accepter une publication en pharmaceutique dans plus de 150 journaux “Open Access”. Or, cet article avait été inventé de toutes pièces et comportait de grossières erreurs. Selon l’auteur, même un étudiant au collège aurait remarqué ses énormités. Et pour cause ! C’est en effet un journaliste de Science, John Bohannon, qui s’est amusé à envoyer ce “faux” à plus de 304 journaux en “Open Access”. Sa cible d’envoi était majoritairement des journaux que l’on appelle des journaux blacklistés ou prédateurs “predator publishers”. Ces journaux ne sont souvent que des spams qui souhaitent sous-tirer de l’argent à des chercheurs. Mais certains journaux qui ne font pas partie de cette liste noire et répertoriés dans ce que l’on appelle le DOAJ (Directory of Open Access Journal) ont tout de même accepté l’article. Que souhaitait montrer l’article ? Qu’il existe une nouvelle économie autour des journaux en Open Access, ce que l’auteur appelle le “Wild West in academic publishing”. Or, un grand nombre de médias se sont emparés du sujet. Quelle belle tentation de choisir un angle ne remettant pas en cause les dits “spameurs” mais l’Open Access en général (en tout cas dans les titres) !

Open Access et grand Public : sur quel pied danser?

Quel impact a ce raccourci médiatique et sensationnaliste ? De nombreuses personnes, je pense peu familières de l’Open Access, ne connaissent pas les nuances subtiles se cachant derrière ce terme. Résultat : beaucoup ne savent certainement plus quoi en penser.

La nouvelle a en effet crée un petit raz-de-marée dans les médias. Le groupe Facebook de HackYourPhD s’en est aussi fait l’écho. Une bonne petite veille collaborative avec de nombreux commentaires s’est mise en place.  Vous avez aussi été nombreux à m’envoyer des messages en me disant « tu as vu ? ».

Et oui, j’ai vu. Voici quelques petites réflexions en citation et en proverbe.

Commentaires sur le groupe Facebook

Commentaires sur le groupe Facebook HackYourPhD

 “La distance rend toute chose infiniment plus précieuse.” Arthur C Clarke, L’Odyssé de l’Espace

Je pense qu’il est nécessaire de prendre un peu de distance avec cette affaire. Il est bien connu que les articles peuvent être lus en diagonale et avoir un impact ravageur. Bienvenue dans le monde sensationnaliste.  En lisant simplement les titres ou les sous titres de nombreux journaux et en rajoutant un petit effet “téléphone arabe”, on pourrait croire que ça-y’est ! On vient d’apprendre que l’Open Access n’est pour de vrai qu’un système de mauvaise qualité qui menace l’intégrité scientifique.

Or ce sujet a été souvent traité avec de nombreux raccourcis comme le dénonce Sylvain Deville dans cet article en réponse au billet de Rue 89.

« Que dit l’article publié sur Rue89 ? Il révèle l’existence de rédacteurs bidons et le fait qu’un mauvais article, voire franchement faux ou même complètement bidon, peut toujours être publié quelque part, et que la faute en incomberait à l’Open Access. »

Le titre “Open Access : Du rêve au Cauchemar” a également fait son petit effet. Malgré un article très documenté et complet (merci Sylvestre Huet), le titre “souffle tout de même largement sur les braises”. Ce traitement médiatique prend bien trop souvent le risque de n’apporter que de la confusion à ceux qui ne connaissent que partiellement un sujet. Je ne souhaite pas dire que c’est le cas de tous les journaux, loin de là, mais le sensationnalisme est bien présent et certains n’ont pas la distance pour le voir.

 « Ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain” :

Au final pour ceux qui connaissent un peu le monde de l’Open Access, cet article n’apprend rien de nouveau. Et oui, il existe ce que l’on appelle des “predatory publishers” c’est à dire de nombreux journaux qui ne sont en réalité que des “spameurs”. Un des modèles de l’Open Access appelé “gold” a fait naître une niche économique majeure et nombreux sont ceux engouffrés dedans. Dans ce modèle, les auteurs payent pour publier leur article après peer-review. Même ce modèle comporte des spécificités, que moi-même, j’avoue avoir parfois du mal à comprendre. Pour en savoir plus, je vous invite à lire l’article de Vincent Bonhomme, vous y trouverez de quoi faire le point, avec l’humour en prime.

Cette remarque dans l’article du blog anglais SP-POW résume également bien la situation

“Ce que cet article montre. Les journaux spameurs font du spam. Ce n’est pas nouveau”

 “What it shows is : predatory journals are predatory. That’s not news.”

Et puis, avec cette histoire, on en oublie les autres nouvelles :  Saviez vous que l’un des prix Nobel Jim Rothman est en effet un des directeurs de publication de e-Life (journal Open Access). Pour une piqûre de rappel : je vous conseille cet article :  “Nobel prizes, peer review, Open Access and bioinformatics: four awesome things”

 “Appeler un chat un chat” :

« La fonction d’un écrivain est d’appeler un chat un chat. Si les mots sont malades, c’est à nous de les guérir. Au lieu de cela, beaucoup vivent de cette maladie. » — (Jean-Paul Sartre, Qu’est-ce que la littérature ?)

Et si nous transposions cela aux journalistes ? Ce n’est donc pas l’Open Access qui est remis en cause mais bien les journaux prédateurs. L’Open Access regroupe de nombreuses notions et des modèles différents. Leur point commun : l’accès libre et gratuite pour tous aux publications scientifiques. Mais comment ? Les chemins sont différents. Une des voie, dite dorée ou modèle “gold” fonctionne avec des journaux en Open Access, c’est là où les “predatory publishers” se sont infiltrés. Mais on parle aussi de Green Open Access, ou voie verte pour les archives ouvertes. Et là encore des subtilités sont à prendre en compte. Tous ces termes sont loin d’être clairs pour tous, dans la communauté des chercheurs et encore moins pour certains journalistes.

 “Avant d’enlever la paille de l’œil de ton voisin, retire la poutre qui est dans le tien” :

Une des principales critiques faite à l’étude de John Bohannon concerne la méthodologie employée. Si un comité de pairs avait visé l’article, il est presque sûr que l’article aurait été mis sur la touche. Pourquoi ?  L’étude remet en cause le peer review des journaux Open Access, en ne comparant seulement entre eux des journaux en Open Access. Mais quid des journaux traditionnels payants ? Vincent Bonhomme expose la question en ces termes:

“Le problème, c’est que dans l’enquête menée par le journaliste, les seuls journaux étudiés sont ceux en Open Access (et encore, une sélection très partielle et discutable). Impossible donc de comparer aux autres types de journaux. Le taux d’acceptation ou de rejet d’un article bidon serait-il le même ? Plus élevé ? Moins élevé ? Impossible de le savoir avec cette étude. Ce serait donc comme faire la moyenne des notes d’étudiants masculins et en conclure que leur niveau est mauvais… sans comparer la moyenne avec celle des étudiantes.”

John Bohannon, face à cette remarque, annonce qu’il lui aurait fallu plus de deux ans si il avait souhaité faire la comparaison. En effet, le temps d’attente pour pouvoir être révisé par un comité puis publié ou non dans ses journaux classiques, est parfois, comment dire… “un chouilla” lent. Finalement, c’est la précipitation et la pression pour publier qui sont dénoncées ici. La revue “Science” se met elle même au pied du mur au final…

Ces journaux en effet sont loin de montrer pattes blanches. Je vous rappelle cette jolie histoire, qui avait aussi fait bruit il y a quelques mois. Un cas de fraude avait été dénoncé dans la revue Cell, (journal prestigieux), par une plateforme de post peer-review.

Lors d’un Live Chat organisé par Science hier avec entre autre John Bohannon et Michel Eisen ( fondateur du journal Open Access PLOS), Guillaume Dumas (co-fondateur de HackYourPhD), faisait cette remarque :

“Il serait intéressant de mentionner que les jours à fort facteur d’impact ont un taux de rétraction de papiers plus élevés. Ils amènent un comportement de recherche à plus haut risque. Voir le papier “ Rétraction de publication scientifiques et taux de rétraction” FC Fang 2011.  Ce papier qui, sans surprise, n’a pas été publié dans Science qui figure second dans les échelles de taux de rétraction.”

 “Ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort” :

Je suis sûre que l’ensemble de la commuanuté Open Access n’est pas vraiment inquiète de cet article et sait faire la part des choses. Je sais que la plupart des chercheurs également ne sont pas dupes des éditeurs prédateurs et même de cette histoire. Petite anecdote, un de mes anciens collègues américains (chercheurs à UCSF)  m’a envoyé un email jeudi matin en m’indiquant au sujet de cette histoire “I wish they did the same test on the closed access journals for comparison…”  « J’aurai espéré qu’ils aient fait le même test avec des journaux “fermés” pour comparaison. »

L’inquiétude concerne plus l’impact médiatique sur le public non averti, qui ne pourrait que prendre le titre comme vrai . Cela ne va pas dans le sens de rassurer ceux qui hésitent déjà à publier.

Que peut-on faire ?  

 “Un homme averti en vaut deux.”

Et bien moi, je pousserai tout curieux à venir s’instruire lors de l’Open Access Week, venir débattre discuter.

Poster OAW A3

Je conseillerais aussi de remplir ce questionnaire crée collaborativement par la communauté HackYourPhD et d’autres personnes qui sont venus prêter mains fortes.

Je suis certaine que les personnes répondront oui à la question : Avez vous déjà entendu parler des “predatory publishers” (rajoutée aujourd’hui).

Et puis finalement ce petit buzz est une excellente nouvelle. Une prise de conscience plus grande va peut être avoir lieu sur les questions du peer review ? Des nouvelles propositions vont être discutées. Nous en avions parlé en long et en large lors de cet atelier organisé avec Pierre Carl Langlais Les nouvelles pratiques d’évaluation scientifique.

 “Ne pas jeter la première pierre” :

Cet article “ The Scientific Publishing Sting: a Missed Opportunity?” fait remarquer que les réponses et critiques de la communauté Open Access pour se défendre de ce papier, ne desservent pas forcément le mouvement. L’article note en effet que chaque journal Open Access défend d’abord son propre cas “Il ne suffit pas de maintenir leur propre réputation mais aussi celle de l’ensemble de la communauté Open Access.”

Cette histoire devrait être l’occasion pour ceux impliqués dans l’Open Access de prendre ensemble des mesures pour lutter contre ce “wild west de la publication scientifique”.

Au final, cette affaire soulève des faits bien connus : le  traitement médiatique sensationnaliste, les petites querelles…Celui qui est légèrement apeuré (Science) d’une situation nouvelle (l’Open Access) essaye t-il de renverser l’échiquier ?

Alors “Jeu de main, jeu de vilain”?

Merci à Guillaume Dumas, Matthieu Le Chanjour et Elyane Daniel pour leurs précieuses relectures.

Articles cités : 

http://www.sciencemag.org/content/342/6154/60.full

http://sciences.blogs.liberation.fr/home/2013/10/open-access-du-r%C3%AAve-au-cauchemar-.html

http://www.rue89.com/2013/10/05/articles-bidons-les-revues-non-nest-faute-a-lopen-access-246324

http://www.vincentbonhomme.fr/2013/10/whos-afraid-peer-review/

http://blogs.biomedcentral.com/bmcblog/2013/10/09/nobel-prizes-peer-review-open-access-and-bioinformatics-four-awesome-things/

http://www.mysciencework.com/fr/news/10160/clonage-de-cellules-souches-embryonnaires-humaines-enfin-possible

http://www.letudiant.fr/educpros/opinions/innovation-l-editeur-scientifique-plos-pour-une-immersion-dans-le-monde-de-l-open-access.html

http://news.sciencemag.org/scientific-community/2013/10/live-chat-exploring-wild-west-open-access

http://www.theguardian.com/science/grrlscientist/2013/oct/08/1

http://hackyourphd.org/2013/06/compte-rendu-de-latelier-nouvelles-pratiques-devaluation-scientifique-cartographier-lexistant-1/